"Pérou - Du sable, de l'or, des dieux et des hommes" (Vilo, 2001 collection "Terre de passion", (H. Demeude - M. Vautier)
Pérou, les trois visages d'un pays métis.
D'une superficie égale à environ deux fois et demi celle de la France,
le Pérou est le plus étendu des pays andins. Situé au centre de la cordillère
des Andes, qui longe sur près de 8 000 kilomètres la côte Pacifique de
l'Amérique du sud, le territoire péruvien se compose de 26 départements
découpés dans une nature grandiose soumise à un climat tropical. Sa population
de 23,5 millions d'habitants est très inégalement répartie puisqu'un tiers
évolue dans la capitale Lima qui a subi ces quinze dernières années un
exode rural d'une ampleur invraisemblable. Bordé par l'Equateur et la
Colombie au nord, le Brésil à l'est, la Bolivie et le Chili au sud, le
Pérou s'échelonne de la ligne de l'équateur jusqu'au sud du 18° de latitude,
et offre trois visages aux caractéristiques géographiques bien distinctes.
Grande façade maritime ouverte sur l'océan Pacifique sur près de 2 000
km, la région côtière se présente ainsi comme un long ruban désertique,
large de 200 km au nord pour seulement 40 au sud, qui disparaît à l'est
avec les premiers contreforts de la Cordillère des Andes. La Sierra, majestueuse
et vertigineuse, côtoie cette bande aride en déployant sur le tiers de
la superficie du pays un système complexe de chaînes montagneuses qui
fait s'élever un millier de pics au dessus des 5 000 mètres d'altitude,
et une trentaine d'autres à plus de 6 000 mètres. La forêt tropicale,
ou Selva, constitue la troisième composante du cadre physique péruvien.
Porte d'entrée sur l'Amazonie, c'est à la fois la région la plus vaste
puisqu'elle s'étend sur 60% du territoire et la moins peuplée. Couverte
d'arbres dans un environnement très humide, la Selva est sillonnée par
de grands fleuves dont les nombreux méandres sont alimentés en eau par
la Sierra.
La Cordillère des Andes est non seulement l'épine dorsale du continent
sud américain mais également son château d'eau. Compte tenu de sa disposition
géographique qui traverse le Pérou de part en part du sud au nord, l'eau
de pluie en provenance de ses sommets et celle issue du dégel des glaciers
se dirigent soit à l'ouest vers l'océan Pacifique, soit vers l'est et
le bassin de l'Amazone. En rejoignant l'océan, l'eau des sommet se jette
dans un milieu marin sous l'emprise du courant d'Humboldt qui a la propriété
d'acheminer pendant l'hiver austral (de juin à décembre) les eaux froides
issues du pôle sud. Ce courant maritime, qui refroidit de 8° C les eaux
tropicales du Pérou par rapport à celles situées sur la même latitude,
fait certes la joie des pêcheurs qui bénéficient d'une importante ressource
halieutique mais provoque un bouleversement climatique local. Pendant
cette saison en effet, la côte péruvienne est soumise à une forte humidité
mais ne bénéficie que de faibles précipitations. Et ce n'est pas l'été
qu'elles se font plus pressantes. L'eau qui s'écoule en direction du désert
littoral permet donc de faire verdir des oasis en bordure de rivières.
Dans cette aride frange côtière aux paysages très variés, allant des dunes
sablonneuses aux collines rocailleuses pelées en passant par des zones
de pâturage à la végétation rabougrie, les vallées irriguées forment des
milieux fertiles où se concentrent les paysans. Dompter cette eau bienfaitrice
était déjà à la base de la prospérité des Incas qui donnèrent naissance
dans les Andes à leur empire vers 1200 et développèrent le plus grand
Etat de l'Amérique précolombienne jusqu'à ce que les Espagnols les envahissent
en 1533. Aujourd'hui, notamment dans le département d'Arequipa au sud
ouest du pays, d'ambitieux projets d'irrigation visant à arracher au désert
des dizaines de milliers d'hectares grâce à l'eau canalisée de la Cordillère
des Andes ont pour but de faire de la pampa de Majes de vastes champs
de verdure. Des lopins de terre sont alloués à des paysans qui y font
pousser des plantes vivrières ou de la luzerne qui sert de base à l'alimentation
du bétail. Cette mise en culture moderne tranche singulièrement avec les
modes agricoles traditionnels qui sont encore en vigueur dans l'ensemble
des petites vallées, en bordure de la pampa sur le piedmont de la Cordillère.
Ainsi, la superbe vallée de la rivière Colca, toute recouverte de cultures
en terrasses, a été redécouverte à faveur de la construction dans les
années 80 d'un barrage de retenue d'eau nécessaire à irriguer ces immenses
étendues de la pampa. Certaines de ces terrasses sur lesquelles poussent
des céréales et des plantes propres aux Incas telles que le kiwicha et
la canahua seraient vieilles de quinze siècles. De même, l'empire Chimu
qui imposa sa culture sur la côte nord de 1200 à 1450 s'est appuyé sur
d'impressionnants systèmes d'irrigation en canalisant les rivières venues
des Andes pour fertiliser l'aride littoral septentrional.
En contrepoint de ce désert côtier traversé par la célèbre route panaméricaine,
qui remonte tout le continent latino-américain, s'affirme à l'est de la
Cordillère des Andes un autre désert, caractérisé en ce qui le concerne
par sa faible densité démographique. La Selva qui reçoit des montagnes
d'abondantes ressources en eau est un territoire très peu peuplé qui réunit
à peine plus de 10% de la population. Cette immense forêt est composée
de deux ensembles géographiques : d'une part le piedmont et les flancs
des Andes orientales tournés vers le bouclier amazonien, et d'autre part
les plaines de l'Amazonie et du Madre de Dios. Celles-ci occupent à elles
seules 600 000 km², soit près de la moitié de la superficie péruvienne.
Les deux villes principales, enclavées au coeur d'un inextricable couvert
forestier et d'un entrelacs de rivières qui s'éparpillent sur un plancher
alluvial inondable, sont Iquitos au nord et Puerto Maldonado au sud. Les
collines, les vallées et les bassins de l'étage inférieur des Andes présentent
une variété des paysages aux pentes souvent très sévères et à la végétation
généralement dense. Les précipitations abondantes et les températures
moyennes annuelles élevées sont propices à la mise en culture des terrasses
sculptées en contrebas des montagnes. Extrêmement difficile d'accès, la
" ceja de montana " (le sourcil de la montagne) est aussi un endroit idéal
pour faire pousser les plantes nécessaires aux narcotrafiquants.
La Sierra se déploie tout au long du Pérou et représente un exemple typique
de chaîne de subduction (la plaque Pacifique s'enfonçant sous la plaque
sud-américaine) ayant la particularité d'avoir une altitude élevée (4
000 à 5 000 m d'altitude moyenne) et une croûte continentale épaisse (60
à 70 km). La barrière montagneuse des Andes centrales révèle une organisation
simple comprenant la cordillère de la côte, qui s'élève jusqu'à 3 000
mètres d'altitude, la cordillère occidentale, qui constitue un vaste plateau
volcanique pouvant atteindre plus de 6 000 mètres, l'Altiplano, qui forme
une haute plaine située entre 3 800 m et 4 200 m d'altitude, la cordillère
orientale enfin, souvent très élevée, qui est rattachée aux collines de
l'étage inférieur des Andes bordant la plaine amazonienne. Les chaînes
montagneuses les plus connues sont la cordillère Blanche et la cordillère
Huayhuash situées dans le département d'Ancash, mais aussi Vilcabamba
autour de Cusco, Carabaya à Puno, ou encore Chila près d'Arequipa. La
montagne la plus haute du Pérou est le Huascaran qui s'élève à 6 768 m
dans le département d'Ancash. Situé à 3 812 m d'altitude dans l'Altiplano
à la frontière bolivienne, le lac Titicaca, est le plus haut lac navigable
au monde. Avec ses 8 000 km², soit l'équivalent de quinze fois le lac
de Genève, il est également considéré comme une véritable mer intérieure.
La région de ce grand lac, notamment autour de Puno, est le domaine des
indiens Aymara, qui furent dominés par les Incas au XVème siècle. Cette
tribu indienne voue à ce lac un culte sans faille car de ses eaux serait
sorti le dieu créateur Wiracocha. Partout ailleurs dans les vallées et
les plateaux des Andes, les pasteurs et les paysans parlent la langue
autochtone quetchua. Descendants et héritiers de l'Empire Inca, les indiens
Quetchua tentent de préserver leurs systèmes de valeurs et leurs traditions
à travers leurs communautés agraires. La plupart des Indiens andins vivent
en effet complètement coupés de la vie urbaine, évoluant dans un monde
sans rapport avec celui de Lima et de la côte. Même si Cusco, l'ancienne
capitale de l'empire inca située à 3 400 m d'altitude, a tout de même
été au début des années 50 un carrefour de migration vers la vie citadine
pour ces indiens des hauts plateaux. Pourtant dans les quinze dernières
années, délaissant les maigres revenus de leurs durs labeurs et fuyant
la terreur mise en place de 1980 à 1995 par les guérilleros du Sentier
lumineux, des centaines de milliers d'indiens ont fini par fuir leurs
montagnes, avec les modes de vie et la culture qui y sont intimement liés,
pour fondre sur Lima. Ils ont alors littéralement transformés le visage
de la capitale en submergeant en nombre les blancs et les métisses jusqu'alors
majoritaires. Ce qui a entre autre pour conséquence de renforcer ce brassage
des hommes qui fait du Pérou un pays métis. Avec la colonisation espagnole
et la fin de l'Empire inca, des phénomènes migratoires ont en effet progressivement
enrichi la composition ethnique de sa population. Après l'asservissement
des indiens, les Espagnols achetèrent des esclaves africains et antillais.
Puis, une fois l'abolition de l'esclavage adoptée, de nombreux chinois
vinrent remplacer la population d'origine africaine dans les pénibles
travaux. Plus tard, durant la seconde guerre mondiale, une colonie importante
de Japonais a pris pied dans le pays et s'est fondue dans le tissu social
à la fin du conflit. Un métissage ethnique et culturel qui semble finalement
tout à fait correspondre aux exigences d'un pays dont la nature offre
mille traits distincts
Hugues Demeude
|