Hugues Demeude Journaliste reporter, auteur-réalisateur


Muséart voyages

La Via Dolorosa à Jérusalem, le chemin toujours recommencé

En ce milieu d’après-midi près de la porte des Lions à l’est de Jérusalem, l’atmosphère est paisible et le fond de l’air doux. La lumière, qui vient caresser les pierre calcaires blondes des vieilles bâtisses et des dallages, souligne l’incomparable attrait de cette antique cité trois fois millénaire.

Pourtant, de la trentaine de membres composant un groupe situé non loin de la très belle église Sainte-Anne, on ne voit que des visages fermées, des corps raidis, des mines sombres allant pour certains jusqu’à trahir des signes de contrition. C’est qu’après un tour de Bethléem et de la Galilée, sur les lieux où Jésus nacquit, grandit et entreprit ses miracles, cette assemblée de pèlerins italiens s’apprête maintenant à suivre la Via Dolorosa où ils vont reconstituer le chemin de croix du Christ qui les conduira à travers quatorze stations jusqu’à son tombeau abrité depuis l’époque byzantine dans le Saint-Sépulcre.
Une Via Dolorosa mythique mais néanmoins imaginaire car selon toute vraisemblance Jésus n’a pas emprunté ce parcours imposée par la tradition qui a par ailleurs été rallongé il y a quatre siècle. Ayant dépassé sur leur gauche une longue galerie débouchant sur une des entrées donnant accès à l’esplanade du Dôme du Rocher, les catholiques atteignent rapidement ce que le prêtre tout en blanc vêtu qui leur ouvre le chemin présente comme la première station. Aujourd’hui préau de l’école musulmane El Omariya cette première halte en forme de mise en route représente depuis le XVIe siècle le lieu où Jésus fut condamné par Ponce Pilate.
Quelques individus, hommes et femmes réunis, casquettes blanches offertes par le tour operator visées sur la tête, ont les yeux qui commencent à rougir quand l’assesseur du prêtre lit le rappel des faits tel que les Evangiles les décrivent. La compassion manifestée par les pèlerins, qui trouve sur cette Via Dolorosa sa plus authentique expression dans la mesure où ce sentiment a pour objet confidentiel et secrète prétention de mimer en se l’appropriant la Passion du Christ, est encore accentuée quelques minutes plus tard quand ils entrent dans la cour fleurie du couvent de la Flagellation. En cet endroit désigné depuis le début du XXe siècle comme étant celui où Jésus fut malmené par les soldats romains, avant qu’il ne reçoive la couronne d’épines et surtout la croix à porter, une inscription tirée de Mathieu (16 :14) exhorte au don de soi : «  Si quelqu’un veut venir à ma suite, qu’il renonce à lui même, prenne sa croix et qu’il me suive ».

C’est bien là tout le désir des pèlerins italiens qui se relayeront entre chaque station pour avoir l’honneur et le privilège de porter avec dévotion la grande croix de bois emprunté au stock toujours disponible de ces anciens instruments de supplice appartenant au Saint-Sépulcre. Le groupe compact qui continue sur le chemin de chanter des louanges à la gloire du Christ passe aux abords de l’arc triple construit par l’empereur romain Hadrien, appelé arche de l’Ecce Homo depuis le XVIè siècle en souvenir de l’exclamation « Voilà l’homme » prononcée par Ponce Pilate, puis s’arrête au niveau de la chapelle catholique polonaise au lieu dit de la première chute. A cet endroit du quartier arabe, la foule des badauds devient plus dense et regarde passer avec détachement cet énième cortège de croyants en provenance de l’ouest. Seuls les commerçants essayeront de troubler la concentration encore sans faille des membres du groupe en leur présentant les articles religieux spécialement préparés à leur attention.
Mais ces pèlerins, contrairement à la plupart de ceux qui se joignent au chemin de croix organisé tous les vendredi vers 15h30 par les Franciscains, sont attentifs aux paroles du prêtre et manifestent plus de piété que de goût pour la consommation. La quatrième station, souvenir émouvant de la rencontre avec Marie lors de ce chemin de croix, est située comme la précédente à un carrefour au nord duquel se trouve la porte de Damas empruntée principalement par les musulmans et au sud duquel a été installé l’entrée surveillée à l’esplanade du Mur Occidental, dit des Lamentations. Un bas relief près de l’église catholique arménienne Notre-dame-de-Pamoyson montre la mère venant au secours de son fils ployant sous le poids de la croix. Pour continuer le chemin jusqu’au cinq dernières stations, à savoir la division des vêtements, la crucifixion, la mort de Jésus, la remise du corps à la sainte Mère, et la mise au tombeau, qui se trouvent toutes à l’intérieur du Saint-Sépulcre, il faut remonter vers l’ouest en traversant les échoppes des souks richement achalandées en artisanat.
Jusqu’au XVIIe siècle pourtant la Via Dolorosa n’avait comme autres stations que la cinquième qui rendait grâce à l’aide que Simon de Cyrène apporta à Jésus, la sixième en souvenir de Sainte Véronique essuyant le visage du Christ, et la septième représentant à la fois l’endroit de la seconde chute et la porte par laquelle Jésus quitta la ville pour le Calvaire. A l’emplacement de ce Calvaire, qui est le lieu le plus élevé de la vieille ville, fut construit au IVe siècle à l’initiative de l’empereur byzantin Constantin, détruit par les musulmans puis rebâti par les Croisés au XIIe siècle le Saint-Sépulcre, toujours pieusement gardé par les six communautés chrétiennes que sont les catholiques, les grecs orthodoxes, les arméniens, les coptes, les syriaques, et les éthiopiens. Les pèlerins italiens qui ont résisté à la tentation des boutiques et des commerces du quartier chrétien entourant la Basilique trouve un supplément de dévotion dans l’atmosphère hautement religieuse du Saint-Sépulcre. Pénombre, odeur d’encens, complexité austère de l’édifice, rituels liturgiques mystérieux concourent à désorienter les membres de l’église latine qui en parviennent même à oublier les touristes tout juste curieux et fort peu émus qui se joignent à eux.
Finalement, chacun pénétrera, par groupe de trois, dans le Tombeau symboliquement si chargé de sens de celui qui tenta d’allumer une lumière dans les ténèbres. Une vieille femme se prosterne en embrassant, une bougie à la main, la pierre froide de cette demeure sacrée.

Hugues Demeude