Le Yémen (La Manufacture septembre 2000 - Photographies de P.Meunier)
- Extrait de l'ouvrage - Introduction -
Aux confins de la péninsule arabique, bordé par deux espaces marins
et un territoire aride qui lui permirent dés l'Antiquité d'être ouvert
sur l'étranger, le Yémen est un pays captivant. Destination rêvée de nombreux
voyageurs qui furent dans l'impossibilité de l'atteindre, pour le Nord
jusqu'en 1970 et le Sud 1990, il conserve un attrait enchanteur qui a
été renforcé par son long isolement contemporain. Il représente une telle
promesse de dépaysement que partir faire une découverte du Yémen se transforme
invariablement en aventure. Non pas qu'il y ait prise de risques ou mise
en danger mais simplement parce que ce voyage ne s'effectue pas uniquement
dans l'espace mais aussi et peut-être surtout dans le temps. Les éléments
s'additionnent et concourent à en faire un monde d'un autre âge : les
somptueux paysages de montagnes modelées par des terrasses qui empêchent
toute mécanisation, l'organisation très hiérarchisée de sa société à dominantes
rurale et tribale, mais aussi les villes au bâti ahurissant fait de maisons-tours
en terre et de mosquées porteuses de mémoire, ou encore la jalouse et
fière indépendance de ses habitants qui vivent selon des principes ancestraux.
Face à l'Afrique orientale, le berceau de l'humanité, le Yémen présente
sur ses 550 000 km² une grande diversité géographique dans laquelle s'est
enraciné un peuplement très ancien. Entre son système montagneux, son
ouverture sur le grand désert d'Arabie Rub al-Khali et ses deux façades
maritimes - la mer Rouge et l'océan Indien - qui se rejoignent au niveau
du détroit Bab el-Mandab, pareil à une porte étroite sur la corne de l'Afrique,
c'est un pays qui comprend quatre aires géographiques dominantes. Longeant
la mer Rouge, la plaine côtière de la Tihama est une région fortement
imprégnée par l'influence africaine. Elle a marqué l'histoire du Yémen
à plusieurs reprises, notamment grâce à la vieille ville de Zabid qui
permit de diffuser l'islam dans le pays, et qui fut de longs siècles durant
un illustre centre du savoir. Mais aussi grâce au port de Mokha qui fut
pendant sa grande époque de prospérité une importante plaque-tournante
pour le commerce du café. La Tihama est aujourd'hui l'un des seuls territoires
où le facteur tribal n'a aucune prise. C'est une région au climat tropical
humide, qui connaît une certaine réussite dans l'expérimentation de nouvelles
cultures aux rendements intéressants, et qui se développe fortement autour
de la ville portuaire d'Hodeida considérée comme un point névralgique
pour toutes les importations et exportations du pays.
Côtoyant la Tihama du nord au sud, de l'Asir jusqu'à Bab el-Mandab, une
succession de montagnes d'origine volcanique, culminant à 3 660 mètres
au mont al-Nabi Chu'ayb et dépassant régulièrement les 3 000 mètres, traverse
le Yémen en formant des paysages de toute beauté. Les contreforts, les
coteaux, et les plateaux ont été sculptés et mis en valeur pour faire
naître de la terre non seulement le pain quotidien mais aussi pour le
visiteur toute une palette de couleurs et de senteurs éblouissantes. C'est
dans les hauts plateaux du nord, là où s'est implanté avec vigueur le
courant zaydite, que s'est formée une puissante organisation tribale.
Située à 2 350 m sur le haut plateau central, la capitale Sana'a est considérée
comme le toit de l'Arabie. Ses cinq mille maisons-tours faites en briques
de terre cuites et crues composent un ensemble si impressionnant qu'il
ne pouvait être que classé au patrimoine de l'humanité par l'UNESCO.
Le plateau de l'Hadramaout, compris entre l'océan Indien et le Rub al-Khali,
le désert appelé " quart vide " en raison de son immensité puisqu'il pénètre
au coeur de la péninsule Arabique, se prolonge sur près de 200 kilomètres
à l'est du pays jusque vers le Dhofar situé en territoire omanais. Cette
vallée profonde, qui correspond au lit d'un vieux fleuve asséché dont
les berges constituent aujourd'hui de véritables barrières rocheuses hautes
de 100 à 200 mètres, est une entité géographique à la forte personnalité
et au particularisme prononcé. L'Hadramaout, qui est connu pour abriter
l'étonnante ville de Shibam souvent comparée à la Manathan du désert,
a toujours été une région où se sont brillamment illustrés les commerçants,
qui exerçaient une activité délaissée voire méprisée par les tribus zaydites
du nord. Ancienne zone de production de l'encens, le plateau désignait
autrefois également un grand royaume qui coexistait avec celui de Saba.
Il y avait en fait, au temps de la civilisation sudarabique, cinq royaumes
qui se répartissaient sur les franges du bassin intérieur, Ramlat al-Sab'atayn,
aujourd'hui complètement désertique. Cette quatrième aire géographique,
constituée en son centre de formations dunaires, voit en fait converger
vers elle cinq vallées qui étaient jadis les fiefs de ces royaumes : les
wadis Hadramaout, Dhana, Bayhan, Markha et Jawf.
A cette diversité régionale très nette, il faut ajouter le cas particulier
d'Aden, qui fut un port stratégique dés le 13ème siècle sous la dynastie
des Rassoulides, bien avant d'être conquis par les Britanniques en 1839,
et de devenir la vitrine du régime socialiste de la République populaire
du sud Yémen en 1967. C'est une ville qui fut présentée comme un laboratoire
de la modernité pour le Yémen divisé, à la pointe de la péninsule Arabique.
Et de fait, au niveau de l'éducation, des lois progressistes pour la condition
de la femme, du soutien aux structures de production, ou encore des réglementations
sociales, le régime basé à Aden pouvait afficher son particularisme avec
le sentiment d'une certaine réussite. Mais de violents affrontements entre
des factions qui monopolisaient le pouvoir ont eu raison à la fin des
années 80 de ces tentatives de développement qui souhaitaient mettre l'homme
au coeur du système économique et social. La République arabe du Yémen,
dirigée au nord par l'actuel président Ali Abdallah Saleh, et la République
populaire du sud Yémen, décidèrent alors de répondre à la revendication
populaire réclamant l'unité. Un nouveau destin commun fut scellé à travers
la proclamation en 1990 de l'unification de la République du Yémen. Sana'a
et Aden se partagèrent alors le centre du pouvoir. Ce qui est toujours
le cas malgré le conflit fratricide de 1994.
La nation yéménite, aujourd'hui forte de 17 millions d'individus dont
8 millions ont moins de 15 ans, est une nation unie. En effet, par delà
les contrastes régionaux et les divergences d'appréciation politique entre
le nord et le sud, le pays est tout à fait homogène. D'une part car il
n'est pas issu d'un découpage colonial comme tous les Etats de la péninsule,
et d'autre part car il y a un sentiment d'appartenance à une antique civilisation
sudarabique, représentée par la figure tutélaire de la reine de Saba.
Ce sentiment est par ailleurs doublé d'une adhésion collective à un mythe
fondateur de l'identité musulmane du pays selon lequel le peuple yéménite
se serait converti à l'islam en une seule journée.
Guerriers farouches, paysans obstinés, commerçants habiles, mais aussi
formidables bâtisseurs et intrépides hommes des mers, les Yéménites ont
su forgé une histoire commune qui peut en partie se lire dans les paysages,
l'architecture ou encore les codes vestimentaires. Une histoire fascinante
à bien des égards que les enlèvements de touristes perpétrés ces dernières
années ne doivent pas oblitérer. Le peuple yéménite, généreux et hospitalier,
héritier de l'Arabie heureuse, dénonce dans son ensemble les agissements
de ces quelques représentants de tribus qui nuisent de façon déplorable
à sa réputation.
Hugues Demeude
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