Hugues Demeude Journaliste reporter, auteur-réalisateur


Isra�l (Du Ch�ne, Hachette, octobre 1999, 159 pages - Photographies de P. Roy)

- Extrait de l'ouvrage - Introduction -

Occupant constamment le devant de la sc�ne internationale depuis sa cr�ation en 1948, l'Etat d'Isra�l a ceci de particulier qu'il ne laisse personne vraiment indiff�rent et semble m�me entretenir une relation passionnelle avec les observateurs qui de par le monde s'�vertuent � suivre son devenir. Jeune pays aux dimensions g�ographiques inversement proportionnelles � ses envergures historiques, religieuses et politiques, il a toujours �t�, pour le pire et le meilleur, sous les feux de l'actualit�. Or s'il attire les regards en les mettant sous tension, c'est qu'il y a dans ce pays quelque chose d'hors norme, proche de la d�mesure, � la limite du sens commun. Tout y est intensifi�, accentu�, exploit�. Ainsi, sur ce territoire que chacun a d�fendu arme � la main, pr�t au sacrifice, des projets exceptionnels ont �t� r�alis�s : b�tir une m�gapole sur du sable, fertiliser le d�sert, d�tourner les eaux du Jourdain et ass�cher les marais pour faire na�tre des vall�es verdoyantes, am�nager le pays pour satisfaire les besoins d'une population pass�e de 650 000 � 6 millions d'habitants en 50 ans, fonder une nation et organiser une soci�t� stable avec des individus fonci�rement diff�rents en provenance du monde entier...

Tout autant d�concertants sont encore ici les ruines d'un patrimoine au carrefour de plusieurs civilisations, les traces d'un illustre pass� biblique, et les rites ancestraux du juda�sme qui font de la m�moire l'objet d'un culte vivant. Voyager en Isra�l a du reste in�vitablement le go�t d'un retour aux sources et l'allure d'un p�lerinage. A la crois�e des chemins entre la M�diterran�e et le d�sert arabique, entre l'Afrique et l'Asie, l'actuel Isra�l est en effet un foyer o� se sont succ�d�es en cinquante si�cles d'histoire les plus grandes civilisations m�diterran�ennes et orientales. A l'instar de J�richo, consid�r�e comme l'une des plus vieilles villes du monde avec une fondation qui remonterait � environ 9 000 ans, de nombreux sites et vestiges portent les empreintes, aussi �mouvantes qu'instructives, du passage des Canan�ens, des Philistins, des Assyriens, des Romains, des Byzantins, des Crois�s, des Mamelouks, des Turcs et m�me des Britanniques. L'approche culturelle pourrait donc se suffire � elle m�me lors d'un s�jour en Isra�l tant elle s'av�re riche d'aspects, mais s'agissant de la recherche des origines, le travail de m�moire pr�f�r� par les visiteurs reste encore celui qui permet de plonger vers d'autres racines en favorisant une approche plus spirituelle, en l'occurrence celle mettant en valeur les paysages de naissance du monoth�isme. Car en effet c'est bien ici, en Terre Sainte, que tout a commenc�. Reflet de 3 000 ans d'histoire du juda�sme, de 2 000 ans pour le christianisme, et de treize si�cles d'�panouissement de l'Islam, cette terre des r�v�lations et des proph�tes, en direction de laquelle une grande partie de l'humanit� peut se tourner comme vers un berceau et au sein de laquelle l'Etat juif d'Isra�l continue de cultiver aujourd'hui le caract�re sacr�, est bien s�r toujours forte de ces lieux qui donnent corps � la foi. J�rusalem, Safed, Tib�riade et H�bron (r�troc�d� � l'Autorit� palestinienne), les quatre villes embl�matiques du juda�sme que la communaut� isra�lite occupa vaille que vaille tout au long de l'histoire, mais aussi Bethl�em (�galement r�troc�d�), Nazareth, le lac de Galil�e et encore J�rusalem, vers lesquels les nombreux p�lerins viennent affermir leur pi�t� par amour � l'�gard du Christ, sont autant de bastions � la si haute signification religieuse qu'ils font fr�mir l'�me du croyant, et dans un m�me temps tellement impr�gn�s d'histoires et de l�gendes qu'ils ravissent le non croyant.

Si Isra�l est un pays dont les dimensions religieuses, historiques et politiques continuent donc de marquer les esprits, son cadre physique et sa g�ographie humaine restent quant � eux assez largement m�connus. Ce qui est regrettable car non seulement c'est un territoire aux paysages nombreux et vari�s, fortement am�nag� et � la r�partition humaine riche d'enseignements, mais �galement, et peut-�tre surtout comme en sont convaincus ses habitants religieux, parce qu'il est le royaume terrestre d'un peuple saint, dont la constitution est trac�e dans la loi divine de la Torah (transmise par Dieu � Mo�se sur le mont Sina�). Cette terre, objet de multiples enjeux r�gionaux, qui continue de cristalliser le ressentiment des Palestiniens trop longtemps laiss�s pour compte et celui de la plupart des ultraorthodoxes juifs attendant la venue du Messie et rejetant le sionisme � l'origine du nouvel Etat, est constitu�e de quatre r�gions principales. R�parties entre les quatre mers qui encadrent le pays (mer M�diterran�e, mer de Galil�e aussi appel�e lac de Tib�riade, mer Morte et mer Rouge) ces r�gions comprennent � l'ouest le littoral et sa plaine c�ti�re, � l'est la vall�e verdoyante du Jourdain, appartenant � l'immense faille de l'�corce terrestre nomm�e Rift Valley, au centre les monts de Galil�e, de Samarie et les monts de Jud�e au coeur desquels se d�veloppe la mythique J�rusalem, et enfin au sud le d�sert du N�guev qui s'�tend de son chef-lieu Beer Sheva � Eilat, la station baln�aire tr�s pris�e de la mer Rouge.
Baign� par la M�diterran�e et tourn� vers le soleil couchant, le littoral isra�lien est dessin� par une bande c�ti�re sablonneuse qui, malgr� son ouverture r�duite d'� peine deux cents kilom�tres sur cette mer par o� sont arriv�s tant de batailleurs et de pionniers, concentre l'essentiel des forces vives du pays et contribue fortement � sa richesse. Par opposition aux mod�les faisant l'apologie de la r�ussite, de l'individualisme, de la jouissance et des plaisirs qui caract�risent le style de vie occidentale de cette moiti� de la population isra�lienne r�sidant dans les villes du littoral, au premier rang desquelles se situe bien s�r Tel Aviv, l'�coute du souffle divin qui caresserait J�rusalem la religieuse, la vigilance sans faille des habitants de Safed veillant sur la pr��minence des racines h�bra�ques, la tentative peu commode de relayer dans les campagnes l'esprit pionnier des membres de kibboutzim, ou la d�termination obstin�e des colons qui veulent continuer � �voluer dans les territoires palestiniens de Cisjordanie, donnent l'impression d'appartenir � un autre monde. Le caract�re h�t�rog�ne de cette g�ographie humaine est du reste confirm� par les profondes divisions qui fragmentent le corps social, notamment entre Askh�nazes (juifs originaires d'Allemagne, d'Europe centrale et de Russie) et S�farades (juifs en provenance du Bassin m�diterran�en), la�cs et religieux, partisans de la droite et de la gauche, riches et pauvres, ou encore entre Isra�liens d�j� install�s et nouveaux immigrants russes qui sont maintenant plus d'un million d'habitants. Mais ces divisions sont �galement le reflet d'une richesse exemplaire. Celle d'un peuple aux multiples visages, � la fois repr�sent� par une soci�t� en mutation permanente dont les caract�ristiques principales restent tout de m�me, et ce malgr� le balancement f�brile entre tradition et modernit�, la forte capacit� d'int�gration et la mobilisation unitaire dans l'adversit�, mais aussi et peut-�tre surtout constitu� par une communaut� � l'appartenance joyeuse et fraternelle, fervente et respectueuse. Un peuple chaleureux auquel est destin� l'exhortation inscrite sur un des murs du mus�e de la diaspora � Tel Aviv : se souvenir du pass�, vivre le pr�sent, avoir confiance en l'avenir.

Hugues Demeude