Hugues Demeude Journaliste reporter, auteur-réalisateur


Parution du beau livre "Nos vaches"

Photographies de Bruno Compagnon, éditions De Borée, parution mi octobre 2007. (Tous droits réservés).

Nos vaches Avant-propos : Un patrimoine au regard de velours

Nous sommes des animaux vertébrés bien campés sur nos quatre pattes : nos doigts sont terminés par deux onglons, ou sabot, et nous portons deux cornes creuses. Et parmi nos caractéristiques qui sautent aux yeux, notre mamelle est sans équivoque un attribut de taille.
Nous appartenons à la famille des bovins et à la classe des mammifères ruminants. Nous absorbons 60 à 100 litres d’eau et 50 à 80 kilos de nourritures végétales par jour. Entre temps nous ruminons… jusqu’à 8 heures dans la journée soit le tiers de notre vie. Pour nous aider à transformer les fibres végétales en protéine, nous pouvons compter sur pas moins de 4 estomacs.
Madame la vache ne fabrique du lait que si elle est maman. Et traire une vache pour un éleveur revient à tirer le lait de la mamelle comme si un veau était en train de téter. Du reste, certaine d’entre nous, comme la Salers, ne donne son lait que si son veau est attaché à sa patte. L’éleveur malin agit par feinte : en attachant le veau, il fait croire à la maman qu’elle va donner du lait à son enfant. Ah, ces humains… Nous autres mères vêlons une fois par an, loin des yeux du taureau qui n’est jamais très paternel…

Notre aventure remonte à une époque immémoriale. Dans ces temps reculés, notre ancêtre commun se nommait l’Aurochs, l’animal peint dans les grottes de Lascaux à l’âge préhistorique. A l’époque nous étions sauvages, insoumises, et puis les hommes ont fini par nous trouver du travail. Nous devenions bête de somme et l’agriculture naissait.
Après la seconde guerre mondiale, le tracteur nous a remplacé. De bovins dressés pour le travail, nous sommes devenus des vaches spécialisés, véritables machines économiques. Actuellement certaines d’entre nous sont même d’impressionnantes « usines à lait », et d’autres, des génitrices de veaux. Beaucoup sont aussi devenues des vaches de musées au cœur de parcs dits naturels. Nous entretenons la montagne l’été afin d’éviter les avalanches l’hiver. Nous servons même d’alliés aux pompiers en débroussaillant de grandes superficies sur l’ensemble de la France.

On continue comme autrefois à nous affubler de doux noms rigolos comme « Marguerite », « Doucette » ou « Jonquille », mais dorénavant on nous agrafe en plus un numéro à l’oreille pour mieux pouvoir nous suivre à la trace. Plus question pour nous de prendre la clé des champs…
Rappelez-vous que nous sommes des herbivores, même si certains humains avides d’argent nous ont nourries avec des farines de viandes empoisonnées il y a quelques années. Et dire qu’à cette époque, c’est nous qu’on disait « folles » ! Maintenant, tout cela est très surveillé, et souhaitons que ces mesures réglementaires d’encadrement durent longtemps, car ne l’oublions jamais, l’humanité serait mal en point sans ce que nous pouvons lui apporter. A commencer par notre lait qui forme de jolies moustaches blanches sur la bouche des enfants.

Nous sommes plus de 500 millions dans le monde. Et en France, sur les 20 millions de vaches dénombrées, 85% appartiennent aux 5 races Prim’Holstein, Charolaise, Normande, Montbéliarde et Limousine. Mais elles sont loin d’être les seules à peupler les campagnes : beaucoup parmi nous représentent des races régionales, bien implantées depuis longtemps dans leur terroir. De vrais emblèmes du monde rural. Et il faut admettre que depuis les années 80, nombreux sont les éleveurs passionnés et les techniciens soucieux de la biodiversité qui ont reconnu la valeur de chacune d’entre-nous.
De façon in extremis car de nombreuses races allaient disparaître à jamais. Ces humains plus attentifs que les autres ont pu ainsi préservées une bonne dizaine de races, de l’Armoricaine à la Ferrandaise, de la Béarnaise à la Villard de Lans. Au total, 43 races coexistent aujourd’hui dans l’hexagone, permettant d’exalter la richesse d’un patrimoine autant culturel que génétique. Un patrimoine bien enraciné qui a pu faire dire à certains, fort justement, que l’élevage et le labourage étaient les deux mamelles de la France !

Hugues Demeude