Hugues Demeude Journaliste reporter, auteur-réalisateur


Guide sur les îles anglo-normandes
(Le Pélican - août 2002)


Situées dans le golfe de Saint-Malo, à proximité des côtes françaises, les îles anglo-normandes forment un archipel hors du commun, qui capitalise un indéniable pouvoir d'attraction. Indéfectiblement fidèles depuis près de huit cents ans à la Couronne anglaise, les cinq îles phares de cet ensemble territorial morcelé de la Manche - Jersey, Guernesey, Aurigny, Sercq et Herm - ne sont pourtant pas une possession du Royaume Uni. Bénéficiant d'anciens privilèges, elles possèdent un statut juridique et politique à part qui leur permet d'être autonome sous protectorat britannique. Selon Victor Hugo, qui demeura quinze ans en exil à Guernesey, " les îles de la Manche sont des morceaux de France tombés dans la mer et ramassés par l'Angleterre. De là une nationalité complexe. Les Jersiais et les Guernesiais ne sont certainement pas anglais sans le vouloir, mais ils sont français sans le savoir. S'ils le savent, ils tiennent à l'oublier ".
La position stratégique de ces îles leur a valu d'être des siècles durant en proie à la rivalité des deux grandes puissances riveraines de la Manche. Après que Guillaume le Conquérant se soit emparé de l'Angleterre en 1066, ces possessions du Duché de Normandie se rapprochèrent de la Couronne anglaise. Cent trente huit ans plus tard, le roi Jean Sans Terre perdit le duché de Normandie mais les îliens lui jurèrent loyauté. C'est qu'il avait pris soin de leur promettre le maintien des anciennes lois et des privilèges. Promesses par la suite réitérées par Edouard III qui dût renchérir lors de la guerre de cent ans (1337-1453) après que les Français aient momentanément envahi les îles et fait à leurs habitants une offre d'autonomie s'ils choisissaient de rejoindre le royaume de France. Les îliens choisirent donc de s'attacher à la Couronne anglaise mais ne sont pas pour autant citoyens la Grande Bretagne. Selon la coutume, celle-ci est responsable de la défense et des relations internationales mais n'intervient pas dans les affaires intérieures. Les fortifications, les canons, et autres musées qui évoquent l'époque médiévale permettent de prendre la mesure de cette histoire agitée.
La survivance des prérogatives médiévales qui leur octroient la souveraineté, et la persistance de vieilles coutumes issues du Duché de Normandie, offrent un cadre à ces microcosmes singuliers qui interpelle le visiteur par son pittoresque. L'anglais est la langue officielle, mais on y parle néanmoins un vieux patois normand. Les bicyclettes et les Rolls-Royce roulent à gauche mais les lieux-dits et les noms des cottages sont pour la plupart en français. Les côtes escarpées et sablonneuses ainsi que la campagne fertile où folâtrent vaches et chevaux évoquent la basse Normandie, mais la moindre résidence est entourée par un jardin impeccablement fleuri au charme tout britannique. La seconde guerre mondiale a laissé des cicatrices douloureuses, mais la ligne de blockhaus installée par les allemands durant leur occupation est devenue une attraction touristique à part entière.
A l'instar de l'histoire généalogique des habitants de Jersey qui les fait descendre de fermiers néolithiques, d'immigrants normands, de réfugiés français, de soldats britanniques, de terrassiers irlandais, d'ouvriers agricoles bretons et de travailleurs portugais, l'histoire des îles anglo-normandes est nourrie de cultures et d'influences très différentes qui ont fait naître un art de vivre jalousement préservé par les habitants. Dans ces îles au climat bienveillant, baignées par les courants chauds du Gulf Stream qui en font de vastes jardins fleuris, les touristes trouvent des escales hospitalières et réjouissantes.

ENVIRONNEMENT
A une portée de phare des côtes françaises, l'archipel anglo-normand rassemble une myriade d'îles, d'îlots et d'écueils éparpillés dans le golfe de Saint Malo. Si Jersey, Guernesey, Aurigny, Sercq et Herm en sont les plus importantes par ordre décroissant de grandeur, " chaque île, comme le constatait néanmoins Victor Hugo, a ses poussins d'îlots ". L'activité océanique a secondé la formation géologique pour créer un territoire morcelé à l'aspect sauvage, à l'architecture tourmentée. Les écueils esseulés sculptés par les vagues et le vent, les rochers aux multiples formes grignotés sur le littoral, les côtes aux falaises abruptes et entaillées, sont des produits du lent et irrésistible travail de la mer. La Manche a si bien inscrit son empreinte sur le sol granitique de ces îles qu'elle leur a dessiné un contour très ciselé bien différent et propre à chacune. Celles que les Britanniques nomment Channel islands sont loin d'être des sœurs jumelles. Guernesey, qui ressemble par sa forme géométrale à un triangle, présente deux visages : un socle de granit au Sud où se découpent de nombreuses criques, et des plages de sable qui ourlent le rivage à l'Ouest et au Nord. D'une superficie supérieure à celle de sa voisine, 116 km2 contre 63 km2, Jersey s'apparente davantage à un rectangle. Seule sa façade septentrionale est rocheuse, les trois autres ouvrant sur de larges baies sablonneuses. Aurigny, la troisième île par la taille avec ses 10 km2 mais aussi la plus proche du Cotentin, est un haut plateau incliné du sud, où les calanques sont presque inaccessibles, au nord qui offre quelques échancrures abritant port et plages. Sercq (Sark en anglais), moitié moins grande qu'Aurigny (Alderney en anglais), est presque entièrement circonscrite par d'imposantes falaises. L'île a la particularité de se prolonger au sud par un morceau de territoire semblable à une excroissance appelée Petit Sercq. Herm, la plus proche en distance de Guernesey (à peine 20 minutes en bateau), est profilé comme un rectangle de 6 km2 qui étire sur toute sa moitié nord une large bande sablonneuse.
Falaises, calanques, baies et dunes se partagent les rivages anglo-normands. Les paysages côtiers sont d'autant plus majestueux qu'ils sont sauvages. Pas de constructions bétonnées qui s'approprient les flots, pas d'aménagements balnéaires qui privatisent sites et panoramas. La nature reste souveraine en son royaume de diversité. L'intérieur des terres, mis en valeur sans outrance par les agriculteurs, est lui aussi fécond.
Rien que l'herbe présente de multiples aspects. Hugo, à la suite de ses balades quotidiennes, en faisait état : " N'a pas qui veut cette herbe ; c'est l'herbe propre à l'archipel ; il faut le granit pour sous-sol et l'océan pour arrosoir ". A la faveur de conditions climatiques très favorables, avec une brise de mer qui atténue les températures estivales et un Gulf Stream qui adoucit les rigueurs de l'hiver, les îles ont une abondante production végétale. A tel point que Guernesey, tirant bénéfice de cette particularité, est devenu le principal fournisseur en fleurs coupées de la Grande-Bretagne. Sur les côtes et dans les terres, les écosystèmes abritent une grande quantité d'espèces animales et végétales. Ainsi, les rivages sont soumis à des marées de grande amplitude, jusqu'à douze mètres à Jersey, qui revitalisent toutes les six heures le milieu côtier. En conséquence de quoi, les crustacés, mollusques, et poissons prolifèrent. Cette richesse biologique qui tire profit de la diversité d'habitats et de nutriments attire des milliers d'oiseaux sédentaires et migrateurs comme les mouettes, les fous de Bassan, les macareux moine, les huîtriers-pie, les pétrels fulmars, et autre guillemots de Troïl.
Paradis des ornithologues, les îles le sont aussi pour les amateurs de botanique. Avec près de 2 000 heures d'ensoleillement par an et une pluviométrie très satisfaisante, ces morceaux de terre sont de véritables jardins où les plantes poussent à profusion. Environ 2 000 espèces de plantes et fleurs sauvages y sont répertoriées. Cette flore est disséminée sur les falaises, le long des ruisseaux, sur les dunes, dans les marais, ou dans les champs. Fougères, ajoncs, bruyères, gunneras, lys royal, moutardes sauvage, iris, embaument tous les paysages et font de chaque ballade un rendez vous amoureux avec la nature.

Hugues Demeude